Impossible de faire respecter ses droits de propriété intellectuelle en Chine ?
Il y a encore quelques jours, un de nos client, au moment de choisir les pays où protéger son invention nous répond « inutile de breveter en Chine car ce n’est pas possible d’y faire respecter ses droits ». Cette idée reçue, récurrente, pouvait être vraie il y a encore une dizaine d’années, mais il n’en est plus rien aujourd’hui ! Comme souvent avec la Chine, les choses évoluent très vite et il est nécessaire de rester connecté avec ce grand pays pour en comprendre et suivre les évolutions, afin de ne pas se laisser dépasser…
Ce sont ainsi des entreprises françaises comme Moncler ou Christian Louboutin qui ces derniers mois ont eu gain de cause devant les tribunaux chinois, tribunaux où des dommages et intérêts record de plus de 6 millions d’euros ont été attribués dans une affaire récente et où la grande majorité des titulaires étrangers formant une action en contrefaçon sortent victorieux.
Nous nous sommes rendu sur place, à Shanghai, et vous proposons un petit tour d’horizon de la protection de la propriété intellectuelle en Chine et nos conseils pour y protéger vos inventions en 2017.
Comme toutes les grandes puissances mondiales, la République populaire de Chine a développé son propre système de brevets. En tant que membre de la Convention de Paris et de l’Organisation Mondiale de la Propriété intellectuelle, ce système est très similaires à ceux retrouvés chez les autres membres, comme la France ou les Etats-Unis. La publication de la demande de brevet a donc lieu après 18 mois, et le brevet est délivré généralement entre 3 et 5 ans après le dépôt, à la suite d’un examen sur le fond. La durée de vie de ce brevet, sous réserve du paiement des annuités, est de 20 ans. Dès la publication de la mention de la délivrance du brevet, toute personne considérant que le brevet n’est pas conforme peut requérir l’invalidation de celui-ci, par une procédure du même nom.
En plus de la procédure d’invalidation auprès du Conseil de Réexamen des Brevets, plusieurs moyens de défenses permettent de lutter contre la Contrefaçon. Si l’entente à l’amiable n’est pas envisageable, il est possible de recourir à la voie administrative, qui permet de lutter rapidement contre la visibilité des contrefaçons et les contrefacteurs « amateurs » (moins de 3 mois ou immédiate sur les salons) pour un cout raisonnable. La voie pénale est également une option, afin de dissuader les contrefacteurs par des sanctions sévères, ainsi que la voie civile pour ordonner des mesures d’urgences non contradictoires ainsi que des mesures conservatoires (interdiction provisoire…).
Il est enfin possible de saisir les douanes pour obtenir des saisies aux frontières, que ce soit à l’import ou à l’export. Si vous n’avez pas déposé de brevets en Chine, et que vous découvrez des contrefaçons, tout n’est pas perdu, puisque des actions non fondées sur un titre de propriété intellectuelle, comme la concurrence déloyale, sont également envisageables.
Ces nombreuses voies de recours ne garantissent pas un taux de succès élevé, mais un rapport récent de Darts-ip vient contester les idées reçues. Ce rapport étudie l’augmentation des procès impliquant des « Non-Practicing Entities » (NPE) ou Entités non-pratiquantes, en dehors des Etats-Unis. Ces entités peuvent être définies comme des propriétaires de brevets qui n’ont aucune intention de commercialiser les technologies associées.
Parmi celles-ci, on compte les biens connus « patent trolls », mais également les Universités et autres organisations de recherches, ainsi que les inventeurs individuels n’ayant pas les moyens d’industrialiser et commercialiser ce qu’ils ont inventé. Darts-ip a donc collecté les informations liées à 6 litiges et évalué le « taux de victoire » du breveté en Chine, en comparaison à d’autres pays.
Les résultats montrent que ce pays a le plus fort taux de succès pour le breveté (71%), juste devant l’Allemagne (64%), et loin devant la France (~38%). Ce taux élevé de succès s’explique par un système chinois favorable au breveté, qualifié de « bifurqué », car la contrefaçon et la validité d’un brevet sont évaluées devant deux juridictions différentes, comme en Allemagne et au contraire de la France où tout se passe au Tribunal de grande Instance de Paris.
Ce rapport confirme la volonté chinoise des dernières années de répondre aux accusations de laxisme en matière de protection des droits de propriété intellectuelle, afin de favoriser le développement de l’innovation en Chine.
En effet, fin 2014, trois tribunaux spécialisés dans le respect de ces droits ont ouvert à Pékin, Canton et Shanghai, afin de promouvoir le développement des industries émergentes chinoises, et de renforcer l’image internationale du pays.
Depuis leur ouverture ces tribunaux ont d’ailleurs eu l’occasion de prouver leur impartialité, les résultats 2015 pour la Cour de Pékin enregistrant un retentissant 65-0 en faveur des parties étrangères demandeuses. Cette même Cour a d’ailleurs récemment établi un nouveau record en matière d’indemnisation des victimes de contrefaçon, en condamnant au paiement de 50 millions de RMB (6,7 Millions d’euros, qui dépasse la plus grosse somme jamais attribuée de 6 millions de dollars attribuée par un tribunal français en 1995 et jamais égalée depuis*) les auteurs d’une violation des droits de propriété intellectuelle.
Ces nouveaux tribunaux ont de plus l’avantage de rendre un verdict très rapidement, environ 125 jours, là où la moyenne en Europe est de 18 mois. Un rapport américain de l’Université de Santa Clara montrait d’ailleurs déjà que sur la période 2006-2011, avant l’ouverture de ces tribunaux spécialisés, les propriétaires étrangers étaient responsables de seulement 10% des procès en contrefaçon, mais gagnaient dans 70% des cas. Ce rapport concluait d’ailleurs que le système chinois favorisait souvent les intérêts étrangers au dépend des intérêts chinois, et qu’il représentait également un bon système pour les litiges entre nationaux. Ce sont ainsi des entreprises françaises comme Moncler ou Christian Louboutin qui ces derniers mois ont eu gain de cause devant les tribunaux chinois face à des cas de contrefaçon de leurs marques, nom de domaine et dessins et modèles.
Confirmant ses efforts, le gouvernement chinois a, fin 2016, renforcé sa politique de protection des droits de propriété, incluant la propriété intellectuelle, afin de « renforcer la confiance et la justice sociale », et de « fournir une protection équitable, complète et basée sur la loi ». Cette directive inclut l’amélioration des procédures de procès en matière de propriété intellectuelle, et suggère de regrouper les trois procédures judiciaires (civiles, pénales et administratives) en un seul système. Elle vise également à permettre un meilleur respect des droits de propriété intellectuelle des étrangers, en renforçant la coopération internationale, et en punissant sévèrement la concurrence déloyale, notamment en matière de marque.
Ces chiffres et mesures rassurent en pleine période de publication des résultats annuels des offices, qui montrent que la Chine, premier déposant de brevets en 2015 avec plus de 1,1 millions de brevets déposés, a le plus progressé parmi les grandes puissances, avec une augmentation de 41,5 % en dépôts européens à l’OEB en 2016, et de 44,7 % en dépôt PCT, les plaçant dans les deux cas à la troisième place derrière les Etats-Unis et le Japon. Ces statistiques confirment l’envie d’ouverture internationale des chinois, auparavant repliés sur leur territoire (96% de brevets étaient exclusivement des demandes nationales en 2015), le gouvernement chinois appliquant actuellement un programme visant à inciter le développement de l’innovation en Chine.
Nous pensons donc que c’est aujourd’hui une nécessité, et surtout une opportunité pour les entreprises françaises et européennes, quelle que soit leur taille, de protéger et valoriser leurs technologies et plus largement leur propriété intellectuelle, non plus seulement en Europe et/ou aux Etats-Unis, mais également en Chine, représentant un marché de plus de 1,3 milliards d’habitants, et où les droits de PI sont désormais reconnus et respectés.
Toute l’équipe de Touroude & Associates et nos agents à Shanghai et Pékin se tiennent à votre disposition pour évaluer avec vous les meilleures stratégies de défense de vos inventions, marques, noms de domaine, et dessins et modèles en Chine.
Nous remercions nos sources :
Patent law of the Republic of China
« La propriété intellectuelle en Chine » Jean-Baptiste BARBIER
« The Rise of Non-Practicing Entity (NPE) Cases Outside the United States » Darts-ip
« China and Germany are the jurisdictions where NPEs can expect best chances for litigation success, says new study » Iam Market
« Patent litigation – Double track system vs. bifurcation system » Trust in Ip
« Le brevet d’invention en Chine, que savoir ? » ChinePI
« World Intellectual Property Indicators 2016 »
« Chinese patent office receives over one million patent applications, 96 percent are domestic office only » IPWatchdog
« China Opens Intellectual Property Courts to Improve Image » Bloomberg
« The Beijing IP court gave foreign IP plaintiffs a perfect 65-0 win rate in 2015, reports one of its judges » Iam
« China increasingly a preferred venue for patent litigation, even for US patent owners » IPWatchdog
« Patent Litigation in China, Protecting Rights or the local Economy ? ». Brian Love, Christine Helmers et Markus Eberhardt, 2016. Santa Clara University.
« China Focus : China releases guideline on protection of property rights » Xinhuanet
« China releases guideline on protection of property rights » The state Council of the people’s Republic of China
« Foreign disputes surge at capital’s IP court » ChinaDaily Europe
* Cass. com., 23 mai 1995, PIBD 1995, no 592, III, 341.